Le Facteur

Le jeune facteur est mort
Il n'avait que dix-sept ans

L' amour ne peut plus voyager
Il a perdu son messager

C'est lui qui venait chaque jour
Les bras chargés de tous mes mots d'amour
C'est lui qui portait dans ses mains
La fleur d'amour cueillie dans ton jardin

Il est parti dans le ciel bleu
Comme un oiseau enfin libre et heureux
Et quand son âme l'a quitté
Un rossignol quelque part a chanté

Je t'aime autant que je t'aimais
Mais je ne peux le dire désormais
Il a emporté avec lui
Les derniers mots que je t'avais écrits

Il n'ira plus sur les chemins
Fleuris de roses et de jasmin
Qui mènent jusqu'à ta maison
L'amour ne peut plus voyager
Il a perdu son messager
Et mon coeur est comme en prison

Il est parti l'adolescent
Qui t'apportait mes joies et mes tourments
L'hiver a tué le printemps
Tout est fini pour nous deux maintenant

(Georges Moustaki / Manos Hadjidakis)


Ma solitude

Pour avoir si souvent dormi
Avec ma solitude
Je m'en suis fait presqu'une amie
Une douce habitude
Elle ne me qutte pas d'un pas
Fidèle comme une ombre
Elle m'a suivi çà et là
Aux quatre coins du monde

Non je ne suis jamais seul
Avec ma solitude

Quand elle est au creux de mon lit
Elle prend toute la place
Et nous passons de longues nuits
Tous les deux face à face
Je ne sais vraiment pas Jusqu'où
Ira cette complice
Faudra-t-il que J'y prenne goût
Ou que Je réagisse
Non Je ne suis jamais seul
Avec ma solitude

Par elle j'ai autant appris
Que J'ai versé de larmes
Si parfois je la répudie
Jamais elle ne désarme
Et si je préfère l'amour
D'une autre courtisane
Elle sera à mon dernier jour
Ma dernière compagne

Non je ne suis jamais seul
Avec ma solitude

Non je ne suis jamais seul
Avec ma solitude


Votre fille a vingt ans

Votre fille a vingt ans que le temps passe vite
Madame hier encore elle était si petite
Et ses premiers tourments sont vos premières rides
Madame
Et vos premiers soucis

Chacun de ses vingt ans pour vous a compté double
Vous connaissez déjà tout ce qu'elle découvre
Vous avez oublié les choses qui la troublent
Madame
Et vous troublaient aussi

On la trouvait jolie voici qu'elle est belle
Pour un individu presqu'aussi jeune qu'elle
Un garçon qui ressemble a celui pour lequel
Madame
Vous aviez embelli

Ils se font un jardin d'un coin de mauvaise herbe
Nouant la fleur de l'âge en un bouquet superbe
Il y a longtemps que nul ne vous a mise en gerbe
Madame
Le printemps vous oublie

Chaque nuit qui vous semble à chaque nuit semblable
Pendant que vous rêvez vos rêves raisonnables
De plaisir et d'amour ils se rendent coupables
Madame
Au creux du même lit

Mais coupables jamais n'ont eu tant d'innocence
Aussi peu de regrets et tant d insouciance
Qu'ils ne demandent même pas votre indulgence
Madame
Pour leurs tendres délits

Jusqu'au jour ou peut-être à la première larme
A la première peine d'amour et de femme
Il ne tiendra qu'à vous de sourire Madame
Madame
Pour qu'elle vous sourie


Il y avait un jardin

C'est une chanson pour les enfants
Qui naissent et qui vivent enre l'acier
Et le bitume entre le béton et l'asphalte
Et qui ne sauront peut-être jamais
Que la terre était un jardin

Il y avait un jardin qu'on appelait la terre
Il brillait au soleil comme un fruit défendu
Non ce n'était pas le paradis ni l'enfer
Ni rien de déjà vu ou déjà entendu

Il y avait un jardin une maison des arbres
Avec un lit de mousse pour y faire l'amour
Et un petit ruisseau roulant sans une vague
Venait le rafraîchir et poursuivait son cours

Il y avait un jardin grand comme une vallée
On pouvait s'y nourrir à toutes les saisons
Sur la terre brûlante ou sur l'herbe gelée
Et découvrir des fleurs qui n'avaient pas de nom

Il y avait un jardin qu'on appelait la terre
Il était assez grand pour des milliers d'enfants
Il était habité jadis par nos grands-pères
Qui le tenaient eux-mêmes de leurs grands-parents

Où est-il ce jardin où nous aurions pu naître
Où nous aurions pu vivre insouciants et nus
Où est cette maison toutes portes ouvertes
Que je cherche encore et que je ne trouve plus


Grand-père

C'est pour toi que je joue grand-père c'est pour toi
Tous les autres m'écoutent mais toi tu m'entends
On est du même bois on est du même sang
Et je porte ton nom et tu es un peu moi

Exilé de Corfou et de Constantinople
Ulysse qui jamais ne revint sur ses pas
Je suis de ton pays métèque comme toi
Un enfant de l'enfant que te fit Pénélope

Tu étais déjà vieux quand je venais de naître
Arrivé juste à temps pour prendre le relais
Et je finirai bien un jour par ressembler
A la photo où tu as pose à l'ancêtre

C'est pour toi que je joue grand-père c'est pour toi
Que je glisse mes doigts le long de mes six cordes
Pour réveiller un air tranquille et monocorde
C'est tout ce que je sais faire de mes dix doigts

Maître en oisiveté expert en braconnage
Comme toi j'ai vécu à l'ombre des bateaux
Et pour faire un festin je volais les oiseaux
Que le vent de la mer me ramenait du large

Comme toi j'ai couru les filles et les rêves
Buvant à chaque source que je rencontrais
Mais sans être jamais vraiment désaltéré
Sans jamais être las de répandre ma sève

C'est pour toi que je joue grand père c'est pour toi
Pour remettre au présent tout ce qui est passé
Depuis que je ne parle plus que le français
Et j écris des chansons que tu ne comprends pas

C'est pour toi que le joue grand-père c'est pour toi
Tous les autres m'entourent mais toi tu m'attends
Même si tu es loin dans l'espace et le temps
Quand Il faudra mourir on se retrouvera


Déclaration

Je déclare l'état de bonheur permanent
Et le droit de chacun à tous les privilèges
Je dis que la souffrance est chose sacrilège
Quand il y a pour tous des roses et du pain blanc

Je conteste la légitimité des guerres
La justice qui tue et la mort qui punit
Les consciences qui dorment au fond de leur lit
La civilisation au bras des mercenaires

Je regarde mourir ce siècle vieillissant
Un monde diffèrent renaîtra de ses cendres
Mais il ne suffit plus simplement de l'attendre
Je l'ai trop attendu je le veux à présent

Que ma femme soit belle à chaque heure du jour
Sans avoir à se dissimuler sous le fard
Et qu'il ne soit plus dit de remettre à plus tard
L'envie que j'ai d'elle et de 1ui faire l'amour

Que nos fils Soient des hommes non pas des adultes
Et qu' ils soient ce que nous voulions être jadis
Que nous soyons frères camarades et complices
Au lieu d'être deux générations qui s'insultent

Que nos pères puissent enfin s émanciper
Et qu' ils prennent le temps de caresser leur femme
Après toute une vie de sueur et de larmes
Et des entre-deux-guerres qui n étaient pas la paix

Je déclare l état de bonheur permanent
Sans que te soit des mots avec de la musique
Sans attendre que viennent les temps messianiques
Sans que se soit voté dans aucun parlement

Je dis que désormais nous serons responsables
Nous ne rendrons de compte à personne et à rien
Et nous transformerons le hasard en destin
Seuls à bord et sans maître et sans dieu et sans diable

Et si tu veux venir passe la passerelle
Il y a de la place pour tous et pour chacun
Mais il nous reste à faire encore du chemin
Pour aller voir briller une étoile nouvelle

Je déclare l'état de bonheur permanent


Sans la nommer

Je voudrais sans la nommer vous parler d'elle
Comme d'une bien aimée d'une infidèle
Une fille bien vivante qui se réveille
A des lendemains qui chantent sous le sooleil

C'est elle que l'on matraque que l'on poursuit que l'on traque
C'est elle qui se soulève qui souffre et se met en grève
C'est elle qu'on emprisonne qu' on trahit qu' on abandonne
Qui nous donne envie de vivre qui donne envie de la suivre
Jusqu'au bout jusqu'au bout

Je voudrais sans la nommer lui rendre hommage
Jolie fleur du mois de mai ou fruits sauvages
Une plante bien plantée sur ses deux jambes
Et qui traîne en liberté où bon lui semble

C'est elle que l'on matraque que l'on poursuit que l'on traque
C'est elle qui se soulève qui souffre et se met en grève
C'est elle qu'on emprisonne qu'on trahit qu'on abandonne
Qui nous donne envie de vivre qui donne envie de la suivre
Jusqu'au bout jusqu'au bout

Je voudrais sans la nommer vous parler d'elle
Bien aimée ou mal aimée elle est fidèle
Et si vous voulez que je vous la présente
On l'appelle révolution permanente

C'est elle que 1'on matraque que l'on poursuit que l'on traque
C'est elle qui se soulève qui souffre et se met en grève
C'est elle qu'on emprisonne qu'on trahit qu'on abandonne
Qui nous donne envie de vivre qui donne envie de la suivre
Jusqu'au bout jusqu'au bout

C'est elle que l'on matraque que l'on poursuit que l'on traque
C'est elle qui se soulève qui souffre et se met en grève
C'est elle qu'on emprisonne qu'on trahit qu'on abandonne
Qui nous donne envie de vivre qui donne envie de la suivre

Jusqu'au bout jusqu'au bout
Jusqu'au bout jusqu'au bout
Jusqu'au bout Jusqu'au bout


Sarah

La femme qui est dans mon lit
N'a plus vingt ans depuis longtemps
Les yeux cernés
Par les années
Par les amours
Au jour le jour
La bouche usée
Par les baisers
Trop souvent mais
Trop mal donnés
Le teint blafard
Malgré le fard
Plus pâle qu'une
Tâche de lune

La femme qui est dans mon lit
N'a plus vingt ans depuis longtemps
Les seins trop lourds
De trop d'amours
Ne portent pas
Le nom d'appâts
Le corps lassé
Trop caressé
Trop souvent mais
Trop mal aimé
Le dos voûté
Semble porter
Les souvenirs
Qu'elle a du fuir

La femme qui est dans mon lit
N'a plus vingt ans depuis longtemps
Ne riez pas
N'y touchez pas
Gardez vos larmes
Et vos sarcasmes
Lorsque la nuit
Nous réunit
Son corps ses mains
S'offrent aux miens
Et c'est son coeur
Couvert de pleurs
Et de blessures
Qui me rassure


Chanson-cri

Je veux que ma chanson soit comme un cri d'alarme
Entre un air à la mode et un chanteur de charme
Et même si je ne chante pas assez fort
Qu'on veuille m'écouter trois minutes encore

Quand on entend parler des femmes que l'on viole
Pour beaucoup d'entre nous ça reste des paroles
On discute on s'indigne on ferme le journal
Puis on finit par trouver ça presque normal

Hier j'ai rencontré une de ces victimes
Pour la police c'est affaire de routine
Et pour les autres ce n'est guère qu'une histoire
Moi j'ai vu la détresse au fond de son regard

J'ai lavé son corps couvert de sperme et de sang
L'individu était presqu'un adolescent
Très vite il a fait ça sans amour ni plaisir
Il parait qu'il a pleuré avant de s'enfuir

Mon Dieu qu'avons nous fait pour en arriver là
Que faut-il faire pour arrêter tout cela
Ma tête se révolte et mon coeur est meurtri
Et j'ai eu mal pour elle et j'ai honte pour lui

Mais qui d'entre nous n'a jamais violé quelqu'un
Pour ne parler que de ces petits viols mesquins
Qui font partie de notre vie de tous les jours
Et abreuvent de larmes notre soif d'amour

La puissance l'argent la force et le mépris
L'autorité du père et celle du mari
La rigueur imbécile des fauteurs de l'ordre
Qui crée les enragés qu'il empêche de mordre

Car ce sont nos enfants qu'on appelle la pègre
Gauchistes blousons noirs drogués et autres nègres
Tous ceux qui pour survivre cherchent à rêver
Ceux qui cherchent la plage au-dessous des pavés

Et si je viens chanter à la télévision
Dans le cadre établi de la consommation
Avec l'approbation du prince et de la cour
Ne va pas croire que c'est pour faire un discours

Ce n'est pas non plus pour te convaincre ou te plaire
Ou chanter les idées qui sont déjà dans l'air
Mais c'est pour demander un aujourd'hui meilleur
En faisant simplement mon métier de chanteur

Je dis que le bateau prend l'eau de tous côtés
Il est temps qu'on essaye de le colmater
Victime ou criminel les deux sont concernés
Et s'il y a un coupable on est tous condamnés


Bahia

Bahia des pêcheurs des marins
Bahia des filles du port
Bahia de tous les saints
Bahia de Saint-Salvador

C'est là qu'un beau jour a commencé le Brésil
Et sa première capitale
C'est là que l'Afrique vit encore en exil
Et parle la langue du Portugal

Bahia des pêcheurs des marins
Bahia des filles du port
Bahia de tous les saints
Bahia de Saint-Salvador

C'est là que les hommes savent encore se battre
A pieds nus ou à mains nues ou au couteau
Pour les beaux yeux d'une jolie mulâtre
Au risque d'y laisser la peau

Bahia des pêcheurs des marins
Bahia des filles du port
Bahia de tous les Saints
Bahia de Saint-Salvador

J'ai écouté chanter les fils de Gandhi
J'ai vu danser les filles de Xango
C'est la que j'ai retrouvé le paradis
Du côté de chez Jorge Amado

Bahia des pêcheurs des marins
Bahia des filles du port
Bahia de tous les saints
Bahia de Saint-Salvador

Comme ma chanson n'était pas terminée
Je l'ai emportée avec moi
Je reviendrai un jour te la fredonner
Sur la plage d'Itapoa

Bahia des pêcheurs des marins
Bahia des filles du port
Bahia de tous les saints
Bahia de Saint-Salvador

( Georges Moustaki / Mario Lima )


Et pourtant dans le monde

Tu me diras que j'ai tort de chanter
La révolution et la liberté
Que tout ça ne sert à rien
Que ce n'est pas encore pour demain

Et pourtant dans le monde
D'autres voix me répondent
Et pourtant dans le monde

Tu me diras que j'ai tort de rêver.
En croyant vivre la réalité
Qu'il faut rester les yeux ouverts
Et regarder tout ce qui va de travers

Et pourtant dans le monde
D'autres voix me répondent
Et pourtant dans le monde

Tu me diras que j'ai tort de crier
Et de clamer mes quatre vérités
Qu'il vaut mieux se taire ou mentir
Surtout savoir garder le sourire

Et pourtant dans le monde
D'autres voix me répondent
Et pourtant dans le monde

Tu me diras que j'ai tort de parler
De l'amour comme s'il existait
Qu'il ne s'agit que d'un mirage
D'une illusion qui n'est plus de mon âge

Et pourtant dans le monde
D'autres voix me répondent
Et pourtant dans le monde

Tu me diras que j'ai tort ou raison
Ca ne me fera pas changer de chanson
Je te la donne comme elle est
Tu pourras en faire ce qui te plaît

Et pourtant dans le monde
D'autres voix me répondent
Et pourtant dans le monde

Et pourtant dans le monde
D'autres voix me répondent
Et pourtant dans le monde


Ma Liberté

Ma liberté
Longtemps je t'ai gardée
Comme une perle rare
Ma liberté
C'est toi qui mas aidé
A larguer les amarres
pour aller n'importe où
Pour aller jusqu'au bout
Des chemins de fortune
Pour cueillir en rêvant
Une rose des vents
Sur un rayon de lune
Ma liberté
Devant tes volontés
Mon âme était soumise
Ma liberté
Je t'avais tout donné
Ma dernière chemise
Et combien j'ai souffert
Pour pouvoir satisfaire
Tes moindres exigences
J'ai changé de pays
J'ai perdu mes amis
Pour gagner ta confiance
Ma liberté
Tu a su désarmer
Toutes mes habitudes
Ma 1iberté
Toi qui m'as fait aimer
Même la solitude
Toi qui m'as fait sourire
Quand je voyais finir
Une belle aventure
Toi qui m'as protégé
Quand J'allais me cacher
Pour soigner mes blessures
Ma liberté
Pourtant je t'ai quittée
Une nuit de décembre
J'ai déserté
Les chemins écartés
Que nous suivions ensemble
Lorsque sans me méfier
Les pieds et poings liés
Je me suis laissé faire
Et je t'ai trahi pour
Une prison d'amour
Et sa belle geôlière
Et je t'ai trahi pour
Une prison d'amour
Et sa belle geôlière